Didier Migaud, nouveau ministre de la Justice vient d’affirmer, suivant en cela la position du Président Macron exprimée en mai dernier, qu’il était favorable à l’idée de faire évoluer la définition du viol en droit français en y intégrant la notion de consentement.
En effet, depuis quelques années une petite musique se fait entendre qui tente d’expliquer le peu de condamnations pour viol en France et bien ailleurs dans le monde par le fait que la notion de consentement ne figure pas dans la définition du viol.
Quand les féministes des années 1970 ont revendiqué haut et fort le changement de la loi sur le viol, elles l’ont fait pour que le viol soit dans les faits reconnu comme un crime. Crime, il l’était déjà dans le Code pénal mais dans la réalité la plupart du temps « déqualifié » en délit d’attentat à la pudeur. Personne ne parlait à ce moment là de consentement car dans un viol, le sujet n’était pas là.
Prétendre introduire la notion de consentement dans la définition du viol place d’emblée celui ci sur le terrain de la sexualité : on demande, de multiples façons, à sa ou son partenaire si elle ou il est d’accord, ou pas. Or, la parole des victimes nous l’apprend, ce n’est pas cela qui se passe : le consentement de sa victime n’est pas le problème du violeur. Le viol n’est pas une relation sexuelle non consentie, c’est un acte de prédation, de prise de pouvoir. La jouissance du violeur provient du pouvoir qu’il exerce.
Pour arriver à ses fins l’agresseur, à 96 % un homme, met un ensemble de mesures en place. C’est ce qu’on appelle la stratégie de l’agresseur. Il va choisir sa victime, il va faire en sorte qu’elle soit isolée, qu’il n’y ait aucun témoin. Il va lui faire peur, parfois lui faire craindre pour sa vie. Il peut jouer sur la contrainte morale. Il profitera aussi de la vulnérabilité de la victime, de la confiance qu’elle a en lui parfois (un thérapeute par exemple). Il la rend sidérée et sans défense, il lui imposera ainsi le silence.
Le terme consentement n’est donc pas dans la définition française du viol. Pour aller dans ce sens, la récente loi du 21 avril 2021 qui interdit toute pénétration sexuelle ou « tout acte bucco génital » entre un majeur et un mineur de quinze ans (si la différence d’âge est d’au moins cinq ans) sans qu’il soit nécessaire d’évoquer la violence, contrainte, menace ou surprise, ne fait pas référence au consentement.
Et pourtant cette notion sous-jacente est constamment présente tout au long de la procédure pour attaquer la contrainte, violence, surprise ou menace qui définissent en France le viol et que le législateur devrait préciser. Au lieu de se concentrer sur la stratégie de l’agresseur, la justice se focalise sur un éventuel consentement de la victime. Ce dernier obsède littéralement les services de police-gendarmerie, les Procureur.e.s, les Juges d’Instruction, les Tribunaux correctionnels, Cours d’assises ou autres Cours criminelles.
La conséquence de cette dérive est bien connue : l’attitude de la victime est examinée dans les moindres détails. Les paroles qu’elle a prononcées, ou pas, la façon dont elle a agi, ou pas. Et tout le monde s’efforcera de déduire de cette attitude la présence ou l’absence d’un consentement à l’acte sexuel. Et donc la réalité ou pas d’un fait de violence. Tout cela selon les propres idées des protagonistes basées, bien souvent sur des sentiments, préjugés, vérités, et projections personnels. Manque là une réelle connaissance adossée à une expérience tangible et scientifique.
L’attitude de l’agresseur, sa stratégie ne seront jamais scrutées de la sorte. Et pourtant,
le viol c’est ce qu’a décidé l’agresseur et non le comportement de la victime. Le viol c’est ce qu’a fait le violeur et non l’attitude la victime.
Le violeur, lui, quand il ne peut nier la commission d’un « acte sexuel », joue sur cette obsession de la justice et dira toujours que la victime était consentante. Ou il prétendra ne pas avoir pu comprendre qu’elle n’était pas consentante, même dans les circonstances les mieux établies, comme en ce moment dans le procès dit de « Mazan »
Notons que dans notre système judiciaire, le mis en cause est libre de déterminer la façon dont il va se défendre. Il peut mentir puisqu’il ne prête pas serment.
Ainsi, ce n’est pas le Code pénal qui induit une présomption de consentement à l’acte sexuel. Ce sont l’ensemble des acteurs et actrices judiciaires (reflétant en cela l’état de notre société patriarcale) qui font planer une suspicion de sexualité sur des actes de violences.
Les magistrats ont un pouvoir d’interprétation de la loi et ils doivent le mettre en pratique, comme la Cour de Cassation l’a fait dans un arrêt du 11 septembre dernier en décidant que « le consentement de la victime ne peut être déduit de la sidération causée par une atteinte sexuelle commise par violence, contrainte, menace ou surprise. »
De ce fait, ce qui pose problème devant le peu de condamnations pour viol, ce n’est pas la définition du viol, qui est satisfaisante, mais les partis pris colportés par la justice qui entérinent et confortent les inégalités femmes hommes, les hiérarchies, les dévalorisations, bref le patriarcat : les femmes ne sont en fait que des objets sexuels au service des hommes et donc ces pseudo « rapports sexuels » sont dans l’ordre naturel des choses. Le viol est un outil de contrôle social, garant de l’ordre patriarcal.
Les pays qui ont introduit le consentement dans leur définition du viol n’ont d’ailleurs, semble-t-il, pas plus de condamnations que ceux qui ne l’ont pas fait. L ‘augmentation des condamnations en Suède est due à à une évolution de la définition du viol, la définition antérieure se limitant au seul usage de la force.
Pour conclure, la notion de consentement ne fait qu’appuyer la stratégie des agresseurs.
Elle ne coïncide pas avec les faits de la criminalité sexuelle, elle n’est pas utile à la répression des viols parce que la loi actuelle est suffisante. Elle se situe à contre courant d’un véritable progrès sur la répression des violences sexuelles.
Nous devons remettre le criminel au centre du crime. Dévoiler ses stratégies au grand jour.
Mettre de la clarté là où il n’entretient que de la confusion. Remettre le violeur au centre du viol.
Il est urgent de mettre enfin en œuvre une loi-cadre intégrale contre les violences faites aux femmes et aux filles.
Il est vital qu’enfin la justice dispose des moyens financiers nécessaires pour fonctionner.
Signataires :
Agsous Zahra Militante féministe et écoutante à l’action contre les violences masculines à la Maison des femmes de Paris
Ansari Irène Coordinatrice de la Ligue des Femmes iraniennes pour la Démocratie
Azaria Ana Présidente de Femmes Egalité
Bavay Francine Fondatrice ECVF, Elu·es Contre les Violences faites aux Femmes
Bellot Françoise Administratrice (Trésorière) du Collectif Féministe Contre le Viol
Bidard Hélène Adjointe (PCF) à la maire de paris, en charge de l’égalité femmes hommes
Claveranne Yvette Citoyenne
Cohen Laurence Sénatrice honoraire
Corbière Evelyne Sénatrice Pour la Réunion
Corfmat Collette Militante féministe
Darroman Ingrid Conseillère Principale d’Education, militante féministe
Dental Monique, présidente fondatrice Réseau Féministe « Ruptures »
Devanne Isabelle Psychomotricienne consultation spécialisée enfants victimes
Dupré Anny Retraitée
Eludut Alain Membre du collectif Zéromacho
Fernandez-Ferrer Nicole Coprésidente du Centre audiovisuel Simone de Beauvoir
Gaudry Danielle Militante du Planning familial 94
Hernandez Hélène Radio libertaire, émission Femmes libres
Hostein Laure-Julia Avocate
Kergoat Danièle Sociologue
Larrouy Michèle Militante féministe et écoutante à l’action contre les violences masculines à la Maison des femmes de Paris
Laveau Northam Maeve Féministe radicale
Le Bastard Claudine Ancienne écoutante au numéro vert de Viols Femmes Informations
Le Fustec Corinne Ensemble 22
Lebaron Pauline Militante féministe
Leclerc Anne Éducatrice retraitée
Lemenn Ursula Porte parole d’Osez le Féminisme !
Lose Reynosa Sabine Militante syndicale et féministe, travaillant avec des victimes de violences sexistes et sexuelles dans différents contextes
Loup Michèle Présidente d’honneur d’ECVF – Elu·es Contre les Violences faites aux Femmes
Martin Nelly Marche Mondiale des Femmes France
Martin Pascale Ex Députée de Dordogne LFI
Martinet Eliette Psychologue addictions et psychotraumatisme
Maugars Élisabeth Militante féministe
Ouerghi Jamila Avocate
Pavillard Anne-Marie Signature à titre individuel
Pepin Josee Tenue de permanences pour les femmes victimes de violences
Perrais-Philippe Véronique Présidente de Sortir du silence association de soutien aux personnes confrontées aux violences sexuelles
Pichevin-Harrison Laetitia
Pierquin Françoise Féministe
Piet Emmanuelle Présidente du Collectif Feministe Contre le Viol
Prono IsabelleS yndicaliste
Rojtman Suzy Co-fondatrice du Collectif féministe contre le viol, animatrice de groupes de paroles, porte parole du Collectif national pour les droits des femmes
Rollier Roselyne Présidente Maison des Femmes Thérèse Clerc
Romero Marie-Claude Présidente AFED 92 – Association Accueil des femmes victimes de violences Hauts de Seine
Salmona Muriel Psychiatre, présidente de l’association Memoire traumatique et victimologie
Scal Eina Co-fondatrice du collectif Héro•ïnes 95
Silhouette Cécile Institutrice retraitée, membre d’Ensemble !-Mages
Thieuleux Isabelle Avocate
Trat Josette Universitaire
Trollé Sophie Avocate
Turlot Moruni Activiste Féministe Lesbienne Radicale
Vandermoere Sophie Personnel de direction pour l’éducation nationale
VaraillasMarie Claude Sénatrice de Dordogne Parti Communiste
Wirden Shirley Responsable nationale Droits des femmes du PCF
YC Yasmina Soutien
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